A Ijevsk, Russia, i pensionati, un tempo lavoratori privilegiati, guidano la contestazione

Le Monde       090331

Reportage – A Ijevsk, Russia, i pensionati, un tempo lavoratori privilegiati, guidano la contestazione

●    In Russia, mentre alcune categorie di dipendenti statali ricevono una pensione pari al 75% del salario finale, la maggior parte dei lavoratori, pari a circa 40 mn. di persone su un totale di 141 mn., ne ricevono solo il 24%.

●    Ex lavoratori privilegiati del settore armamenti o petrolifero in Russia (a Ijevsk), oggi ricevono pensioni da €110-150/mese, pari al 24% dell’ultimo salario, in base alle normative dell’URSS avrebbero dovuto riceverne invece il 50%.

●    I lavoratori dell’officina Ijmach non sono pagati da mesi.

–   Questi pensionati, che si sentono “traditi” dallo Stato, hanno creato un movimento, il Consiglio sociale dei pensionati, e si sono schierati con i “patrioti della Russia”, una corrente del partito stalinista. Il 20 febbraio diverse centinaia di pensionati, ex quadri dell’officina Ijmach, produttrice di Kalashnikov), hanno protestato di fronte al palazzo del governatore, che ha fatto intervenire le forze anti-sommossa, che li hanno picchiati e poi sottoposti ad interrogatori.

Nel 2005 i pensionati di Iljevsk hanno capeggiato la lotta, riuscita, contro il progetto governativo di eliminazione di “privilegi sociali”, come trasporti, energia e farmaci gratuiti.

Le Monde       090331

Reportage – A Ijevsk, en Russie, les retraités, jadis travailleurs privilégiés, mènent la contestation

IJEVSK (OUDMOURTIE, FÉDÉRATION DE RUSSIE) ENVOYÉE SPÉCIALE

74 et 75 ans, Guerold Issoupov et Viktor Choutov, anciens cadres de l’usine Ijmach, qui fabrique les fusils Kalachnikov à Ijevsk, se décrivent comme les "militants les plus actifs de l’opposition".

Chaque jeudi, avec une trentaine d’autres retraités, ils se retrouvent à la rédaction du journal Dien pour élaborer leur stratégie de lutte : manifestations, lettres au président russe, plaintes à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à Strasbourg. Les retraités sont en colère.

–   Ils se sentent "trahis", abandonnés par l’Etat. Comment vivre décemment avec leurs maigres retraites (110 à 150 euros par mois), alors qu’en cette période de crise les prix des produits de base et ceux des médicaments ne cessent d’augmenter ?

–   "Nous sommes issus de l’ancienne classe moyenne soviétique, mais, aujourd’hui, nous vivons très mal. Une fois les charges payées, il reste tout juste de quoi nous nourrir", dit Viktor Choutov, ancien chef d’atelier à Ijmach. Son ex-collègue, Guérold, a eu un choc il y a quelques années en voyant à la télévision un reportage sur les retraités français : "Quand j’ai appris qu’ils touchaient 75 % de leur salaire et que j’ai vu comment ils vivaient, je me suis demandé pourquoi nous sommes aussi mal lotis."

–   Jadis travailleurs privilégiés des secteurs de l’armement ou du pétrole dans cette ville fermée de l’URSS, les retraités d’Ijevsk ont cru au mythe de l’avenir radieux. Avec la chute du communisme en 1991, Ijevsk est devenue le terrain d’expérimentation de la conversion de l’industrie militaire au civil.

–   Viktor n’en avait cure. Après quarante ans passés à Ijmach, son titre de "vétéran du travail" en poche, il pensait achever sa vie confortablement. Selon les normes soviétiques, il aurait du toucher une retraite équivalente à 50 % de son salaire : il se retrouve aujourd’hui avec 110 euros par mois (soit 24 %)…

–   "Je ne peux même pas aller chez le dentiste pour des prothèses. Il y a longtemps, j’ai fait la mâchoire du haut, mais je n’ai pas assez pour celle du bas", déplore-t-il. Le 20 février, lui et plusieurs centaines de retraités sont allés crier leur mécontentement sous les fenêtres du palais du gouverneur, Alexandre Volkov.

–   En place depuis seize ans, ce baron local est un adepte du beau et de l’ordre. Les façades des immeubles situés en face de son palais ont été rénovées "à l’européenne", mais, côté cour, aucune réfection n’a eu lieu depuis plus de cinquante ans. La manifestation a déplu au gouverneur, qui a appelé les forces anti-émeutes à la rescousse. Les retraités ont été roués de coups, jetés à terre, interpellés. L’un d’eux a été hospitalisé avec un traumatisme crânien.

Mécontents de leur niveau de vie, les retraités d’Ijevsk préparent-ils une nouvelle révolution d’Octobre ? "Avec une population aussi passive que la nôtre, ça ne risque pas", explique Alevtina, ancienne cadre de l’armement. Elle aussi peine à boucler ses fins de mois. Elle aurait besoin d’une opération de la cataracte, n’a plus que quatre dents en bouche, mais ne peut assumer les soins médicaux nécessaires. "Pour la cataracte, il me faudrait débourser 40 000 roubles (888 euros). Comment faire avec une retraite (105 euros) comme la mienne ?", s’insurge-t-elle.

–   Elle a placé ses espoirs dans la plainte qu’elle a déposée à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. Elle est ulcérée par l’existence en Russie d’un système de deux poids, deux mesures, quand certaines catégories de fonctionnaires touchent, une fois retraités, 75 % de leurs salaires alors que tous les autres n’ont droit qu’à 24 %. "C’est comme si nous vivions dans deux pays différents", déplore-t-elle. Comme Alevtina, la plupart des retraités russes – 40 millions de personnes sur une population totale de 141 millions – appartiennent à la deuxième catégorie.

–   "Les gens qui sont actifs aujourd’hui ne sont pas mieux lotis que nous", se console Raïssa, sa voisine. Elle cite le cas de son fils, jeune médecin traumatologue, qui touche 4 700 roubles (104 euros) de salaire mensuel : "Comment voulez-vous qu’il ne demande pas aux patients un supplément à chaque consultation ? On dit que la médecine est gratuite ; c’est faux, celui qui peut payer est bien soigné et tant pis pour celui qui ne peut pas."

–   Pour que leurs voix portent, les retraités d’Ijevsk ont créé leur mouvement, le Conseil social des retraités. Avec les autres laissés pour compte – les propriétaires de potagers ou de garages menacés d’expropriation, les mal-logés, les ouvriers contestataires – ils se sont regroupés sous la bannière des Patriotes de Russie, un courant du Parti communiste très actif dans la défense des droits civiques.

–   En 2005, les retraités d’Ijevsk ont été à la pointe du combat contre la remise en question des "avantages sociaux" (transport, énergie, médicaments gratuits) que le gouvernement voulait abolir. Ce dernier a dû faire marche arrière et préserver certains avantages. En cette période de crise, qui touche de plein fouet cette région de 1,6 million d’habitants, et alors que l’inflation grimpe, ils sont prêts à recommencer. "La situation est tendue", confirme Andreï Konoval, député de la douma ("conseil") municipale, rédacteur au journal Dien et coordinateur de l’opposition. Dans l’industrie et le commerce, 40 000 personnes ont une semaine de travail réduite, 20 000 autres ont été mises à pied. Des entreprises, telles l’usine de constructions mécaniques ou celle d’automobiles, très endettées, sont au bord de la faillite.

–   Même Ijmach, où est fabriquée la Kalachnikov, a des difficultés. Depuis des mois, les ouvriers de ce fleuron de l’Oudmourtie ne sont plus payés. Le 18 mars, l’usine a reçu la visite de Sergueï Stepachine, le président de la Cour des comptes. Les ouvriers ont menacé de se plaindre auprès de lui, voire de bloquer les axes routiers. Pour éviter un scandale, la direction de l’usine a aussitôt réglé une partie des arriérés de salaire.

Marie Jégo

Article paru dans l’édition du 31.03.09

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